Humeurs,  Vécu

La différence et le regard des autres


Le regard des autres est presque impossible à occulter lorsque l’on a la sensation de ne pas rentrer dans la bonne case. Notre société normative nous dicte inconsciemment que nous devons être minces, beaux; nous conformer à des standards.

Ce jugement ne concerne pas seulement l’apparence. Il concerne aussi toute forme de différence quelle qu’elle soit.

Dans cet article, je vais me concentrer plus particulièrement sur le regard des autres vis à vis du handicap. Mais pas n’importe quels autres: les proches, les amis.

Ici, Je vais vous raconter comment nos « amis » ont réagi après la naissance de notre fille, porteuse du syndrome de Turner.

S’affranchir du regard des autres?


Lorsque l’on se retrouve confronté à une situation qui sort de l’ordinaire, on se demande souvent ce que l’on va penser de nous. Il est très compliqué de s’affranchir du regard des autres et il est très fréquent que nos actions soient conditionnées par le jugement que nous pensons avoir en retour.

Le regard des autres

Pourquoi je vous parle du regard et du jugement des autres?

Toujours dans ma quête d’acceptation de la différence au sein d’une société où il est très difficile de ne pas porter de jugement et de s’assumer tels que nous sommes. Plus particulièrement dans la sphère amicale lorsque votre vie prend un drôle de tournant.

Mon entrée dans le monde de la « différence ».

Lorsque j’ai appris que ma fille avait un syndrome de Turner, ma première réaction a été d’avoir peur.
Avec le recul, je pense que c’est le regard des autres vis à vis de nous et d’elle qui me faisait peur; plus peur que la différence de ma fille en elle-même.

Au final, Je n’en n’ai jamais fait un sujet tabou. Je n’ai jamais caché que ma fille avait ce syndrome; j’en ai toujours parlé librement.

Cela n’était ni pour me faire plaindre, ni pour me faire remarquer. Mais juste parce que c’était devenu ma réalité, ma normalité. Et si je voulais que ma fille s’accepte en ne se trouvant pas bizarre, je ne devais pas en avoir honte.

Je ne dis pas que c’est simple car je travaille encore beaucoup sur l’acceptation de la différence au quotidien. Et rester en retrait est bien souvent plus facile. Surtout quand les médecins tentent de vous expliquer que c’est mieux d’en faire un secret d’état.

Se cacher du regard des autres

Pourquoi se cacher du regard des autres?


Pour éviter d’être jugé justement. Cependant, se cacher ne permet pas de s’assumer. Et c’est tout ce que je ne voulais pas pour ma fille.

Elle a donc grandi en ne pensant pas qu’elle avait une tare profonde. Elle a ainsi toujours eu le sentiment qu’elle pouvait parler de tout ce qui concerne son syndrome sans se sentir juger. Ce n’est évidemment pas la première chose qu’elle va raconter à quelqu’un; pour autant c’est normal pour elle d’avoir cette maladie.

Et c’est ce que je souhaitais; qu’elle se sente comme tout le monde. ( À quelques détails près. )

Mais j’ai compris au fil des années que cette acceptation ne va pas de soi pour le commun des mortels.

le regard des autres et la curiosité malsaine

Le regard des autres et la curiosité malsaine.


C’est choquant lorsque l’on se penche un peu sur la question. Car l’humain a un fonctionnement un peu étrange pour ne pas dire discutable.

Il y a 15 ans en arrière, nous avions beaucoup « d’amis ». Je mets des guillemets car l’histoire m’a montrée que ces gens-là étaient loin d’en être.

Il y a ceux qui sont venus nous voir à la maison après la naissance et dont la première réaction a été de nous dire:

«  Oh, ça va, elle a l’air normale !»

Et il y a ceux qui se sont éloignés petit à petit.

Je ne parle pas de ceux ( les vrais ) qui se sont juste comportés « normalement » à savoir sans faire de remarques déplacées ou en ayant des attitudes inappropriées.

Nous étions moins disponibles par la force des choses mais nous n’en n’étions pas moins à l’écoute. On ne considérait pas que nos problèmes étaient plus importants que les leurs. Même si clairement ils l’étaient, on ne va pas se mentir! Cependant, nous ne passions pas notre temps à nous lamenter, bien au contraire. Nous prenions beaucoup de plaisir à voir du monde et à vivre le plus normalement possible. Je dirais même que cela nous faisait du bien de reprendre le cours de notre vie après cette parenthèse plutôt agitée.

Malgré tout, je n’ai pu que constater que nous fréquentions de moins en moins de monde.

Le regard des autres, les amis

Le cercle d’amis se restreint.

Pour illustrer ce paragraphe, je vais vous raconter l’histoire qui m’a le plus marquée. Cela s’est passé il y a neuf ans mais je ne peux m’empêcher d’y penser encore.

Une de mes meilleure amie se mariait et j’étais son témoin.

Elle m’a gentiment demandé de ne pas emmener mes enfants. Elle ne souhaitait pas être dérangée pour sa grande journée.
Je me suis exécutée et je les ai fait garder. Ils avaient 6 et 10 ans à l’époque.

Le jour de son mariage, j’ai réalisé qu’il y avait plein d’enfants présents sauf les miens. Et surtout , les filles des autres témoins étaient toutes demoiselles d’honneur.
Je me suis pris une immense claque ce jour-là. J’ai laissé passer le jour du mariage en cachant à peine mon immense déception et j’ai coupé les ponts avec cette personne, définitivement.

Nous nous connaissions depuis le collège et elle n’a visiblement pas compris que je ne veuille plus jamais la voir.

Je ne sais pas comment elle a pu imaginer que je ne remarquerais pas que la présence de ma fille la gênait. Du moins, c’est l’unique explication que j’ai trouvée car aucune autre raison ne me venait à l’esprit. Mes enfants sont bien élevés et ils n’étaient pas plus agités que n’importe quel autre enfant du même âge. De plus, elle avait prévu des nounous et des activités pour les petits, donc sa requête était complètement déplacée à mon sens.

Je précise que Sarah n’a aucun signe extérieur de sa différence et qu’à 6 ans, elle ressemblait à une jolie petite poupée toute blonde. Juste, elle ne collait pas à son casting parfait?

Il n’y a eu aucun retour en arrière de ma part et j’ai balayé cette « amitié » de 24 ans en une minute, en un mail.

Depuis, elle change de trottoir lorsqu’elle me croise. Je suis devenue la méchante de l’histoire. Mais si elle se sent mieux en le pensant, tant mieux pour elle. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi elle a agi de la sorte. j’ai mis plusieurs mois à faire le deuil de cette relation même si c’est moi qui ai mis un terme à notre amitié.

Le regard des autres nous apprend à faire le tri dans nos relations

Quand le regard des autres nous apprend à faire le tri dans nos relations.


Avec le temps, nous avons donc appris à faire le tri. Bien souvent, il se fait naturellement.

Nous sommes restés entourés de personnes bienveillantes qui ne nous jugent pas et que nous ne jugeons pas. Beaucoup de nos proches ont pris la fuite. C’est comme ça que l’Humain en général m’a un peu plus écoeuré au fil des années.

Je me suis tout de même interrogée sur les raisons de ces pertes de contact. J’ai même pensé que j’étais en majeure partie responsable de la situation.

Et si c’était moi le problème?

Mon comportement avait peut-être changé? Et si je n’étais plus la même à leurs yeux?

En y réfléchissant bien et après de multiples remises en question, je me suis rendue compte que non, je n’étais pas le problème! C’est juste ma situation qui était en cause. Ce que nous vivions renvoyait ces gens-là à leurs propres angoisses.

Le regard des autres, un regard sur soi?

Le regard des autres, un regard sur soi?


Cela n’arrive pas qu’aux autres alors ça peut m’arriver! Vous connaissez?

Basculer du jour au lendemain dans une vie qui ne ressemble plus à celle que nous avions a certainement déstabilisé certaines personnes. Et je peux comprendre que cela ait pu engendrer chez eux une certaine anxiété. En effet, notre situation les a sûrement renvoyés vers une réalité où certains problèmes peuvent arriver à tout le monde; y compris à eux-même.

Le transfert émotionnel.

Inconsciemment, un transfert se fait. Et plutôt que d’affronter la nouvelle vie de leurs amis, ils préfèrent fuir. Ils se sentent ainsi immunisés d’un quelconque malheur.

J’aime mieux imaginer cela plutôt que de penser que les gens sont fondamentalement égoïstes; pour ne pas dire mauvais.

Cette fuite se fait toujours de manière progressive ( sauf dans les cas où c’est moi qui ai coupé les ponts ) et sans aucune explication. Un peu comme si nous étions devenus contagieux en problèmes!

Ne pas affronter les problèmes des autres est plus confortable pour sa santé mentale. Je ne juge pas ce genres de réactions car personne n’arrive à se mettre réellement à la place de quelqu’un. De plus, se comporter normalement demande une certaine maitrise de soi ou un détachement suffisant pour éviter de se projeter soi-même dans une situation que l’on juge impossible.

Ainsi, les soirées s’espacent et les coups de fil se font de plus en plus rares. Les excuses pour ne pas se voir sont toujours les mêmes: je suis surbooké, je n’ai plus le temps de rien, etc.

De notre côté, nous prenons acte et ne donnons plus de nouvelles. Cela ne sert à rien de courir après des personnes dont vous sentez qu’elles sont mal à l’aise.
Il n’y a pas de dispute, pas de drame, juste un éloignement subtil jusqu’à la perte de contact.

Loin du regard des autres, dans ma bulle.

Loin du regard des autres, dans ma bulle.


Après de multiples déceptions, il y a un mécanisme d’auto-défense qui se met en route naturellement. Je suis devenue de plus en plus sauvage vis à vis du monde qui m’entoure. Ce qui est totalement paradoxal avec ce que je suis en train de faire, à savoir écrire sur ce blog.

J’ai la chance de ne pas être un model de sociabilité et de ne pas avoir besoin d’être très entourée. Ma famille et les quelques amis que je compte sur les doigts d’une main me suffisent pour être heureuse.

Mon cercle de très proches ( hors famille ) est devenu très petit mais c’est un endroit où je sais que je peux être moi-même. Ces personnes savent qu’elles peuvent compter sur moi et inversement.

Je me suis créée une bulle dans laquelle je n’arrive plus à faire entrer personne.

Je me suis créée une bulle dans laquelle je n’arrive plus à faire entrer personne.

Mon mari est aussi sociable que je suis devenue asociale, mais je pense que chacun se protège à sa manière.

Je n’ai plus l’envie de me justifier de tel ou tel comportement étrange de ma fille à qui ne me connait pas. Je n’ai plus l’envie de faire l’effort de rencontrer des gens dont je pense qu’ils ne me comprendront pas. Même si je n’ai pas forcément envie que l’on me comprenne d’ailleurs. J’ai surtout envie que ma fille ne soit pas jugée, et que je ne le sois pas non plus.

Je pense que ces années passées à m’occuper de ma fille m’ont fatiguée et je garde le peu d’énergie qu’il me reste pour les personnes qui en valent la peine. J’ai bien conscience que je passe certainement à côté de belles rencontres mais les déceptions ont été si nombreuses que je conserve précieusement mes ami(e)s et je fuis les autres. Pour le reste, il y a mon psy 😅

Fuir le regard des autres.


Je n’ai plus ni le désir ni la force d’être confrontée au regard et au jugement des autres. Je ne m’en suis pas encore affranchie et même si je passe mon temps à dire que l’on ne doit pas agir en fonction de ce que les autres peuvent penser, je ne l’applique absolument pas pour moi.

C’est facile de donner des conseils, mais c’est un peu plus compliqué de les appliquer.

C’est d’autant plus difficile de s’ouvrir aux autres lorsque l’on a été blessé et je dois bien avouer que la chose que j’ai le mieux appris ces quinze dernières années a été de me réfugier auprès de ceux que j’aime sans réussir à faire une place à de nouvelles personnes.

Peut-être que je changerai un jour?

« On oubliera ceux qui ne comprennent pas. »

Crash me, Indochine

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