Comment faire le deuil de l’enfant parfait
Elle, non parfaite?
Lorsque l’on attend un enfant, on l’imagine et l’envisage avant même sa venue au monde. Nous avons neuf mois pour nous préparer à l’accueillir et à nous demander à qui il va ressembler. Que ce soit sur le plan physique ou psychique, nous l’imaginons toujours parfait. Mais parfois, les choses ne se passent pas comme prévu. Nous ne sommes pas toujours préparés à ce que notre enfant présente un quelconque problème. Il faut alors entamer un vrai travail de deuil de l’enfant que nous voulions parfait.
Mais comment réussir à faire ce deuil de l’enfant parfait ?
La première étape du deuil: le choc de l’annonce.
J’ai appris au cours de mon huitième mois de grossesse que ma fille était atteinte d’une double cardiopathie congénitale associée à un syndrome de Turner, à savoir une anomalie chromosomique. ( Cela fera l’objet d’un autre article )
La nouvelle a été un choc énorme, on ne va pas se mentir! Comme si on vous lançait une enclume sur le crâne.
L’enfant que j’attendais n’était donc pas parfait et je devais réussir à l’accepter, faire un vrai travail de deuil.
Le choc entraîne des réactions très particulières. Celle que j’ai remarquée en premier a été le besoin de m’informer, de tout savoir. J’avais besoin de connaitre l’ennemi pour mieux le combattre. J’avais cet irrépressible soif de tout apprendre sur la maladie de ma fille. J’entamais une sorte d’exorcisme de mes angoisses.
Être dans l’action me semblait représenter la seule chose que j’étais capable de faire.
Lorsque l’on agit on ne réfléchit plus alors autant agir.
La plupart de mes actions étaient stériles mais elles m’ont permis de passer un cap.
Ce dont je me souviens de cette période est que le choc n’a pas duré plus de deux jours. Nous étions pris par le temps alors mon corps s’est mis en version accélérée. Je devais enchaîner les étapes du « deuil » de l’enfant parfait que j’attendais, au plus vite.
Tout ceci a été totalement inconscient. Cependant, la nature faisant bien les choses, si une étape n’a pas été parfaitement exécutée, elle vous explose ensuite en pleine figure en mode « retour en arrière ».
Mais je ne le saurai que des années plus tard, c’est pourquoi je peux en parler avec quinze années de recul.
La deuxième étape du deuil: la colère, l’incompréhension et le pourquoi.
Une fois l’information enregistrée par notre cerveau, on commence à se demander pourquoi, pourquoi nous?
Nous sommes en colère, nous aimerions nous endormir et nous réveiller en ayant juste fait un mauvais rêve. Comment faire pour que toute cette situation si surréaliste n’existe plus?
Pourquoi notre vie si parfaite il y a encore quelques jours, vire au cauchemar?
On cherche un responsable, le plus souvent nous-même, et on tente de trouver une explication logique alors qu’il n’y en a pas.
Ne pas comprendre est précisément ce qui nous met dans cet état de colère intense.
Il faut juste réussir à accepter le fait qu’il n’y a bien souvent aucune raison pour qu’il nous arrive quoi que ce soit de mauvais dans notre vie et que nous n’y sommes strictement pour rien. En d’autres termes il faut déculpabiliser!
Je ne dis pas que c’est la phase la plus simple mais je n’avais pas beaucoup de temps. Je devais prendre des décisions pour la santé de ma fille, agir vite. J’étais dans une course contre la montre et chaque décision prise, quelle qu’elle soit, avait un impact sur l’après.
La présence de l’autre et de la famille est primordiale pour balayer les doutes et mieux avancer. Mais elle entraîne aussi une infinie tristesse car on se sent malgré tout très seule face à nos peurs. On commence à douter.
La troisième étape du deuil: la tristesse et le doute.
Après avoir engrangé toutes les informations possibles et inimaginables sur les étapes qui allaient être les nôtres, j’étais vidée et triste. Triste de ce que nous vivions, triste de ce qu’allait vivre notre fille, triste de tout.
Je suis passée par toutes les phases des émotions, des plus négatives aux plus positives, par peur et ignorance.
La fameuse différence qui fait si peur.
J’ai ainsi commencé à douter de ma décision de poursuivre ma grossesse. En effet, qui j’étais pour mettre au monde une enfant dont nous ne savions pas vraiment si elle aurait une vie normale?
Est-ce que cette décision n’allait pas impacter négativement toute la vie de la famille, à commencer par celle de notre fils?
Je n’avais aucune réponse à ces doutes, je devais juste avancer par instinct, le fameux instinct maternel censé vous donner toutes les réponses.
Cette étape du deuil n’est pas la plus facile mais elle est incontournable.
Au fil de mes réflexions intérieures, j’ai commencé à me sentir plus forte.
J’ai finalement pensé qu’il serait plus facile pour moi de surmonter tout ce que je pouvais imaginer de pire sur le futur plutôt que de ne jamais connaitre ma fille.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit: décider ou non d’ôter la vie à son bébé. Parce qu’à huit mois de grossesse, on parle bel et bien d’un bébé et non d’un amas de petites cellules qui flottent dans notre utérus.
La dernière étape du deuil: de la rationalisation vers l’acceptation.
Passés les larmes du choc de l’annonce, la colère avec parfois le déni et le pourquoi de ce que l’on perçoit comme une injustice, notre cerveau réussi à intégrer un peu mieux les choses et se met à rationaliser.
Les questions fusent à une vitesse phénoménale.
Est-ce que ma fille aura une vie normale? Est-ce qu’elle sera pointée du doigt? Comment vont réagir les autres? Comment je vais gérer ce saut vers l’inconnu? Est-ce qu’elle va vivre, tout simplement?
Ma méthode d’acceptation a été de me laisser porter par les médecins et de tout faire pour ne pas me projeter plus loin que demain.
J’ai décidé de prendre les problèmes un par un, au fur et à mesure qu’ils se présenteraient à moi et j’ai tenté de les surmonter. C’est de cette manière que j’ai peu à peu entamé mon travail de deuil.
Surmonter ses peurs et ses doutes n’est pas un exercice facile. Lorsque l’on est confronté à un événement dont on sait que l’on ne peut le modifier, que l’on a accepté que l’on ne peut le modifier, nous n’avons pas d’autre choix que d’y faire face.
Notre cerveau arrive à se mettre en veille quand il a trop d’informations à gérer en même temps. Avec le recul, je pense que c’est ce qui m’est arrivé.
En effet, il y a bien des moments où l’on se déconnecte de la réalité pour mieux se relever et appréhender la suite. C’est comme si nous avions droit à des soupapes de décompression afin de ne pas exploser en plein vol.
La rationalisation de la situation engendre une forme de résilience; c’est comme ça, je n’ai pas le choix alors je vais faire avec.
On se retrouve ainsi à accepter un fait qui nous semblait totalement inenvisageable quelques jours auparavant.
Il ne faut jamais sous estimer les ressources que nous avons en nous. En effet, imaginer vivre quelque chose d’insurmontable et le vivre réellement fait toute la différence.
Même une personne emplie de toute l’empathie du monde ne pourra jamais se mettre à votre place pour quelle que situation que ce soit.
Vous êtes seul maître à bord de votre corps, de votre esprit et de votre cerveau alors ne doutez jamais de vos forces.
15 ans après, le bilan.
À trente ans, on a du mal à se projeter dans une vie qui sera l’exact opposée de tout ce que l’on avait imaginé.
Au fil des discussions et des réflexions avec le corps médical et la famille, nous avons fait ce saut dans l’univers parallèle de la non conformité, de la non normalité, de la non perfection de la vie rêvée et de l’enfant idéalisé non « parfait ».
Nous avons réussi à faire ce deuil de l’enfant parfait que nous espérions.
J’ai même réussi à trouver le côté positif de tout ça; je suis informée (approximativement) et préparée ( pas toujours très bien, il est vrai ) pour la suite alors j’ai de la chance.
Avec le recul je me sens chanceuse d’avoir traversé tout ça et d’y avoir survécu.
Quinze après cette annonce qui a changée nos vie, nous avons parcouru un chemin assez chaotique. Il l’est encore mais pour rien au monde je ne reviendrais en arrière en changeant la moindre de mes décisions.
Vouloir un enfant parfait est légitime mais finalement cela ne veut absolument rien dire tant c’est subjectif. Mes enfants sont parfaits pour moi; ma fille est parfaite pour moi et chacun avec ses particularités me fait évoluer un peu plus chaque jour.
Me dédouaner des regards extérieurs, arriver à partager mes expériences sans me soucier du jugement d’autrui est une manière de continuer ma phase d’acceptation sans honte et avec une certaine fierté de vivre des choses hors du commun.